Ars Cultura

La Chute De Prométhée (citations)

Lettre à un Démocrate Américain

  • Rémi Tell
  • La Chute de Prométhée. Perspectives Libres, 2022.

Définition clinique de l’idéologie progressiste.

Je dirais que trois attitudes définissent le progressisme contemporain : l’essentialisation, le narcissisme et l’usurpation morale.

L’essentialisme fonde le wokisme, expression paroxystique du progressisme. Elle ramène l’individu à un attribut (souvent, sa couleur de peau ou son orientation sexuelle), le posant comme fondateur des enjeux de pouvoir entre la Cité et lui. Lorgnant sur la défense des « nouveaux damnés de la Terre » (Frantz Fanon, Les Damnés de la Terre, 1961), vous les emmurez dans les geôles fantasmatiques de l’oppression systémique. [Une professeure de sociologie à l’Université d’Arizona] le formulait de la sorte dans sa « sociologie de la déviance » : « il n’existe pas de valeurs en soi, mais seulement un rapport de domination de l’homme blanc hétérosexuel vis-à-vis du reste du monde. »

Au prétexte de les combattre, l’essentialisation reprend la grammaire des doctrines d’antan. Elle enferme quand la Nation, addition de singularités innées et acquises délivre l’Homme. Le wokisme est un clivage écartelé entre indifférenciation et boulimie catégorielle. Par un jeu de vases communicants, les invariants naturels cèdent avec lui la place aux clapiers sociaux.

Je crois qu’il faudrait plutôt admettre ce qui est, l’embrasser même : ainsi, saisir par exemple la complémentarité hommes-femmes comme une chance. Et exercer votre liberté sur le terrain de la culture. Créer et non déconstruire, en somme.

Poursuivons avec le deuxième pilier du triptyque progressiste : vos combats dégoulinent le narcissisme. Outre leur focus individualiste et communautaire – en d’autres termes, très autocentré – notons l’extrême valorisation symbolique qu’il vous confèrent – que vous adoptiez le statut de la victime, égérie si actuelle, ou celui d’insurgé contre l’oppression systémique susmentionnée. Mais pour être victime ou héros, il faut subir : or vous ne subissez rien, vous faites subir l’insanité de votre dogme aux autres, confondant théâtre et panache des luttes anciennes. Logiquement, la véritable matière à révolte vous échappe, étant trop absorbés à rejouer les guerres gagnées depuis longtemps par vos pères.

Enfin, le progressisme ne saurait prospérer sans usurpation morale. Par usurpation morale, j’entends la manipulation consistant à abriter l’intérêt derrière le récit du Bien.

L’usurpation morale irrigue votre discours sur la mondialisation économique : en appelantà l’amitié des peuples et aux vertus du doux commerce, vos représentants tissèrent d’Ouest en Est, du Nord au Sud, la toile d’un système prédateur des ressources et des corps. […]

L’usurpation morale se déploie tout autant via la commedia dell’arte des droits individuels. Votre tolérance y sert de cache-sexe au « laissez faire », en d’autres termes à la disparition de la Loi. Il n’en va ainsi pas tant du respect de la dignité de l’individu que de la possibilité laissée à chacun – et donc à vous en particulier – de faire ce qu’il entend sans en rendre aucun compte à la société. Cette position suppose l’indifférence morale, le groupe se voyant privé du droit de juger ce qui est juste ou non. Chez vous, l’idée même d’une quelconque hiérarchie des mœurs provoque la suffocation. En cela, la logique des droits individuels est anti-démocratique.

— p. 60

Le boomerisme mental, roue de carosse du capitalisme.

Vous êtes, vous les boomers, la génération du « moi je » crasse. Et, grand malheur pour notre temps, la démographie vous octroie aujourd’hui l’arbitrage quasi-exclusif du destin de l’Ouest. Aucun politicien ne peut espérer être élu sans votre assentiment. Vous représentez la masse votante détentrice du capital. Transformés en gardiens de l’ordre oligarchique, vous lui donneriez le bon Dieu sans confession. En cela, vous péchez encore par court-termisme.

Car narquoisement, votre égoïsme vous reviendra en pleine face. Vous revendiquez le droit à l’euthanasie : vos enfants seront les premier à la réclamer pour vous. Vous avez placé tous vos espoirs dans le maintien du système économique en place : pour se sauver lui-même, il puisera sans grand délai dans votre épargne. Par narcissisme moral, vous avez soutenu l’immigration massive : c’est elle qui vous agresse ou viole vos filles. Surtout, c’est votre manie des idoles à terre vous condamne à l’humiliation perpétuelle : ajourd’hui P. [NDT : professeur d’une grande université américaine], malgré tous tes efforts pour être du bon côté du manche, quelle place peut occuper un hétérosexuel-bourgeois-blanc tel que toi dans l’imaginaire de tes étudiants ?

Le système compte sur vous fermement. Il vous couve comme le maquereau couve sa putain, moyennant votre argent et votre peur. La soumission contre le confort. L’obéissance, afin que dure la fête.

Pour assujettir votre amabilité, il s’est employé à émasculer l’homme occidental, dernier rempart entre le marché et l’individu. Où se trouvaient les pères pour protéger leurs enfants durant la crise sanitaire ? La plupart étaient couchés, aplatis par l’angoisse et au sommet de leur déshonneur.

Boomers, on vous a réduits à l’état de consommateurs serviles.

Là convergent l’idéologie progressiste et les courants profonds du capitalisme. Le délire politique fait alors système avec le modèle de développement économique. Il est temps de l’interroger.

— p. 89