Développement (Im)personnel (citations)

Julia de Funès, Développement (im)personnel. Éditions de l’observatoire, 2019. ()

[A]u cours des années 1970, le contexte normatif change : la conformité et la soumission à un principe hétéronome s’assouplit pusique l’individu s’institue progressivement maître de lui-même. C’est alors que le sujet divisé du XIXème fait place au sujet émancipé du XXème siècle avec ses gains et ses pertes, avec ses bienfaits et ses nouvelles pathologies. Les pathologies mentales dominantes s’avèrent alors être celles de la responsabilité d’un individu désormais affranchi des impératifs normatifs. La dépression est […] la pathologie majeure du dernier tiers du XXème siècle, correspondant au nouveau type d’individu-souverain que nous sommes devenus.
Les interdits étant moins présents et moins pesants, le déchirement de l’individu entre ce qu’il doit faire et ce qu’il souhaite faire est moins vif et la culpabilité s’en trouve amoindrie. […] Ce mouvement d’intériorisation des contraintes fait que l’émancipation de l’individu déplace les notions d’interdit normatif et de culpabilité sociale, en les remplaçant par celle de responsabilité personnelle.

— p. 31-32

Pour passer du possible au réel les auteurs invoquent la confiance. Tout ne serait qu’une question de confiance : « Pour vous débrouiller, pour réussir votre propre vie, ayez confiance en vous. Respectez-vous. Osez penser que tout vous est ouvert. » Ici la manipulation consiste à confondre confiance en soi et assurance. Or l’assurance est l’affirmation de soi, la certitude et l’absence de doute sur soi-même, qui n’a rien à voir avec la confiance pourtant évoquée. Cette dernière suppose au contraire une foi (confiance vient de cum fide : avec foi), un pari sur l’inconnu, un saut dans l’ignorance, un doute. Quand on a la foi, on croit, et on croit quand on ne sait pas. Je crois en Dieu si je ne suis pas certaine de son existence. La confiance, par la fragilité et le doute qu’elle suppose, est donc l’exact contraire de la certitude présupposée par l’assurance. Assurance et confiance s’opposent en ce que la première pense un sujet autonome et tout-puissant qui se dérobe à toute dépendance et à tout doute, alors que la seconde le relie à autrui et le situe d’emblée dans une logique asymétrique, de vulnérabilité, d’incertitude, où l’autre peut toujours trahir la confiance donnée. La confiance étant imprévisible, irrationnelle parfois, décevante souvent, et hors de contrôle, les ouvrages à recettes préfèrent miser sur le cognitif, le maîtrisable, c’est-à-dire l’assurance. L’assurance et la fatuité qu’elle suppose sont les vertus valorisées par le développement personnel, que ce dernier préfère parer du beau mot de confiance.

— p. 60-61