Ars Cultura

Réponse À M. Galluzzo Après Son Passage Sur La Chaîne Elucid

La compréhension mondaine de la Société de Consommation™

L’excellente chaîne Youtube Elucid d’Olivier Berruyer nous a récemment gratifié d’un entretien avec l’auteur d’un livre sur la Société de Consommation. L’occasion de revenir sur un sujet maintes fois évoqués mais rarement à la mesure de ces implications. Cette fois ne fait pas exception.

De toute évidence, M. Galluzzo a bien travaillé son sujet. Il a lu Baudrillard, Debord, même Marx sans doute et bien d’autres sûrement. Son analyse est assez large et plutôt intéressante, surtout quand il développe les liens entre le faux omniprésent de la consommation et les images que cela développe dans l’inconscient collectif et l’identification de certains groupes aux esthétiques que le marché crée (rien de nouveau cependant pour ceux qui connaissent les Situationnistes).

On sent cependant qu’une bonne partie de l’analyse de ces penseurs lui a manifestement échappé. Lorsqu’il nous parle par exemple du “rôle de la femme”, en employant les anathèmes en vogue du rigorisme moral actuel (“machisme”), il évite soigneusement d’évoquer l’exploitation que la prétendue “émancipation” des femmes a permis pour la société de consommation, faisant d’elles de nouvelles consommatrices en plus de leurs maris qui en étaient déjà. Un chamboulement social majeur qu’il ne préfère pas relier à l’objet de son étude. Bizarre. La bourgeoisie “réactionnaire” (forcément) s’inquiète de l’appât de la société de consommation… dont il nous étale lui-même pourtant les dangers pendant près d'1h30. Soit sa logique est intègre et il s’inscrit en continuateur de cette “bourgeoisie réactionnaire” qui doute de cette nouvelle ère de la consommation, soit il n’est pas cohérent. Les “paniques morales”, toutes infondées et délirantes selon lui. Celles liées aux jeux vidéo par exemple, dont il nous explique qu’elles sont insensés. Pense-t-il qu’ils contribuent à l’ouverture d’esprit et à la formation intellectuelle des jeunes générations ? Une seule visite sur Twitch permet de se faire un avis.
On redécouvre le fait que le Grand Magasin opère selon des logiques de classes, comme si les logiques de classes n’avaient jamais existées jusqu’alors. En uniformisant l’espace marchand, on peut argumenter qu’à l’inverse, le Grand Magasin réduit un peu l’antagonisme de classe en faisant communier tout le monde dans un même “temple” – et c’est d’ailleurs la tendance même du marché, nous y reviendrons.
M. Galluzzo placarde donc ceux qui remettent en cause le changement de paradigme qu’induit l’avènement du marché mondial… alors qu’il passe lui-même un livre entier à s’en inquiéter terriblement. Plutôt que de juger, il s’agirait, en premier lieu, de comprendre.

L’aspect médiatique et psychologique de ce bouleversement social a sans doute été parmis les plus commentés, ce qui est assez compréhensible étant donné l’importance sans précédent qu’il a pris. Si, au-delà des fadaises de comptoir, il y a quelques observations pertinentes, on s’étonne que ne soit pas jamais évoqué une autre volonté de “normalisation” assez flagrante du marché dans la publicité et les médias, un côté d’ailleurs absent du monde de Guy Debord et consorts, qui consiste à représenter constamment côtes à côtes tous les phénotypes de la planète (plus souvent les hommes noirs et les femmes blanches pour certaines raisons qui m’échappent) et à proclamer par tous les moyens l’universalisme du sacro-saint marché et la “diversité” (idée complètement “fétiche” et marchande) qu’il engendre nécessairement. M. Galluzzo parle de l’uniformisation du monde de la publicité, un monde dépersonnalisé et quasi-abstrait, mais pourtant échoue bien à en relever un des caractères les plus flagrants pour qui est encore un tant soit peu attaché au monde rural que menace cette société nouvelle… Une “diversité”, soit dit en passant, qui n’existe évidemment pas dans la communauté paysanne d’antan, auquel il se réfère souvent dans son analyse. Là encore, un sujet gros comme une maison que M. Galluzzo omet, sans doute sciemment.

Au fond, j’ai tendance à penser que tout cela revient à chroniquer décennies par décennies l’expansion de la mondialisation et de la technologie mise à son service créée notamment grâce aux possibilités offertes par les énergies fossiles. Transport, outsourcing, médias de masse, monnaie d’échange globale, haute technologie planétaire, etc. Oui, on produit énormément, d’objets et d’images et d’idées, oui on uniformise, on standardise, on sérialise, etc. Est-ce qu’on ne le savait pas déjà ?
Tous les aspects nouveaux qu’a mis en lumière le recul de notre expérience moderne sont dûment ignorés, tandis que sont repris, après filtrage idéologique bien entendu, toutes les idées les plus basiques et sans prétention. C’est appréciable que de discuter de sujets abstraits et désincarnés, mais ce n’est en dernière instance pas très courageux. On nous sert ici une version aseptisée de la société de consommation, une version mondaine garantie sans polémique : pas d’inquiétude, vous pouvez en discuter dans les dîners en ville avec vos amis de gauche !
Moi aussi j’ai lu Baudrillard, mais je n’ai pas lu que ça.

La volonté intrinsèque au marché, c’est l’abolition de toutes les différences culturelles entre les individus devenus, non plus hommes, femmes, bourgeois, bouddhistes ou que sais-je, mais consommateurs. En cela, il a contribué, et c’est indéniable pour celui qui se donne l’honnêteté de le remarquer, à “l’émancipation” de toute une partie de l’humanité, qui a donc pu avoir accès à tous les biens et les idées que le marché a propagé inlassablement partout où il a pu. A priori, c’est une mauvaise chose d’après M. Galluzzo. Même la position de Marx était plus nuancé puisqu’il admettait que le libre-échange était la condition sine qua none à l’avènement de la Révolution Communiste (lire “Sur la Question du Libre-Echange” de K. Marx). Non seulement cette dimension, classique du marxisme bien compris, n’a je crois pas traversé la tête de M. Galluzzo, mais en plus il parachève son analyse parcellaire des jugements moraux tendances de l’époque.

Heureusement, au cas où ça n’avait pas été assez clair, l’entretien se finit par un bon couplet sur “l’extrême droite” qui, nous assure-t-il, n’a rien à nous apprendre sur quoique ce soit ! Et d’ailleurs si on l’écoute, on finit par y croire ! Vous avez compris ? Ne l’écoutez pas ! Le scepticisme c’est bien pour tout… sauf pour l’extrême-droite.
À ce niveau, je trouve ça un peu triste de l’apparente fierté que certains ont à admettre à quel point les oeillères idéologiques formattent leur réflexion.
Tout compte fait, je ne pense pas que M. Galluzzo ait lu Marx – on y trouve des idées bien trop sulfureuses pour lui…

Comme souvent désormais dans le milieu des “intellectuels”, on a l’impression que les catégories (plus ou moins) marxistes orientent une analyse manifestement orthodoxe et politiquement correcte plus qu’elles ne la servent. Peut-être un jour y aura-t-il une nouvelle vague de penseurs qui feront abstraction de tous ces déterminismes contemporains qui réellement nous handicapent terriblement dans l’analyse objective de notre réalité. Mais ce jour n’est pas arrivé.