L’éternel Retour…
De la guerre
Sebastian Junger parle dans Tribe: On Homecoming and Belonging de la guerre et de la relation ambigüe que les hommes entretiennent avec elle. Dans cet extrait il se penche sur une réalité surprenante des sociétés civiles pendant la deuxième Guerre Mondiale.
Les atrocités n’en finissaient pas, les gens mouraient chez eux et dans leurs quartiers – tout en continuant leur vie banale. Non seulement ces expériences n’ont pas produit d’hystérie de masse, elles n’ont même pas déclenché de psychoses individuelles. Avant la guerre, les projections pour les troubles psychiatriques en Angleterre pouvaient aller jusqu’à 4 millions de personnes, mais à mesure que le Blitz1 progressait, les hôpitaux psychiatriques du pays ont vu leurs admissions diminuer. Les services d’urgence de Londres ont rapporté une moyenne de seulement 2 cas de “névroses dues aux bombe” par semaine. Les psychiatres ont observé avec perplexité des patients de longue date qui voyaient leurs symptômes s’atténuer pendant la période des très violents raids aériens. Les admissions volontaires dans les services psychiatriques ont sensiblement diminué, et même les épileptiques ont déclaré avoir moins de crises. “Les névrosés chroniques du temps de paix conduisent maintenant des ambulances”, remarque un médecin. Un autre s’est risqué à suggérer que certaines personnes s’en sortaient mieux en temps de guerre.
Les effets positifs de la guerre sur la santé mentale ont été remarqués pour la première fois par le grand sociologue Emile Durkheim, qui a découvert que lorsque les pays européens entraient en guerre, les taux de suicide diminuaient. Les services psychiatriques de Paris étaient étrangement vides pendant les deux guerres mondiales, et cela est resté vrai même lorsque l’armée allemande a envahi la ville en 1940. Les chercheurs ont constaté un phénomène similaire pendant les guerres civiles en Espagne, en Algérie, au Liban et en Irlande du Nord. Le psychologue irlandais H. A. Lyons a découvert que le taux de suicide à Belfast avait chuté de 50 % pendant les émeutes de 1969 et 1970, et que les homicides et autres crimes violents avaient également diminué. Les taux de dépression chez les hommes et les femmes avaient brusquement diminué pendant cette période, les hommes ont connu la baisse la plus extrême dans les quartiers les plus violents. Le comté de Derry, en revanche, qui n’a souffert d’aucune violence, a vu le taux de dépression des hommes augmenter plutôt que de diminuer. Lyons a émis l’hypothèse que les hommes des zones de paix étaient déprimés parce qu’ils ne pouvaient pas aider la société en participant à la lutte.
— Sebastian Junger, Tribe: On Homecoming and Belonging. Fourth Estate Ltd, 2017.
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Bombardement éclair de Londres par les forces allemandes. ↩︎